Alors que le Sénégal traverse une crise budgétaire sans précédent, la lenteur du Fonds Monétaire International (FMI) à débloquer un nouveau programme de financement suscite une inquiétude croissante. Le gouvernement du président Bassirou Diomaye Faye et de son Premier ministre Ousmane Sonko, reconnu pour ses efforts de transparence, voit ses marges de manœuvre économique s’amenuiser. Une situation qui alimente les tensions sociales et relance le débat sur la souveraineté financière des pays africains. C’est un héritage lourd que le nouveau régime a découvert à son arrivée au pouvoir. Entre 2019 et 2023, sous l’ancien gouvernement de Macky Sall, plus de 11 milliards de dollars de dette n’auraient pas été déclarés aux institutions internationales. Le FMI a confirmé l’existence de fausses déclarations significatives sur le déficit budgétaire et la dette publique, remettant en question la fiabilité des chiffres transmis durant plusieurs années. Le résultat est accablant : un déficit public de 14 % du PIB et une dette publique représentant 119 % du PIB. Ces deux indicateurs exposent le pays à un risque de défaut et à une perte de crédibilité sur les marchés internationaux. Face à cette réalité, le gouvernement n’a pas tardé à réagir. Depuis sa prise de fonction, il a lancé une série de mesures pour restaurer la confiance : audit complet de la dette, certification des comptes publics, et coopération avec le pouvoir judiciaire pour éclaircir les pratiques financières passées. Dans un communiqué rendu public le 3 octobre, Kristalina Georgieva, directrice générale du FMI, a salué ces initiatives : « Les autorités sénégalaises ont fait d’importants progrès pour régler le problème de la déclaration erronée. Leur engagement en faveur de la transparence est réel. » Pourtant, malgré cette reconnaissance, aucun décaissement concret n’a encore été effectué. Le Conseil d’administration du FMI a reporté sa décision, estimant que certains critères techniques ne sont toujours pas remplis. La dérogation attendue depuis mai, qui permettrait au Sénégal de relancer son programme d’aide, n’a toujours pas été soumise au vote. Ce blocage provoque une frustration croissante, tant au sein du gouvernement qu’au niveau de la population. Le Premier ministre Ousmane Sonko a évoqué une interférence politique, accusant le FMI de dépasser le strict cadre technique. Dans une tribune largement relayée, le militant et défenseur des droits humains Alioune Tine a lancé un appel sans détour : « Il faut arrêter maintenant les manœuvres qui retardent le décaissement du FMI. Le Sénégal a fait preuve de bonne foi : il faut que le Conseil d’administration du FMI ne décourage pas les sociétés africaines qui tentent de renouveler le personnel politique et de renforcer la démocratie. » La société civile s’interroge : pourquoi féliciter un pays pour ses efforts tout en lui refusant l’aide censée les accompagner ? Une question d’autant plus brûlante que les tensions sociales persistent, exacerbées par l’austérité. Faute de soutien international rapide, le gouvernement a lancé un emprunt obligataire de 300 milliards de FCFA (environ 450 millions d’euros), principalement destiné à mobiliser la diaspora sénégalaise. Un acte fort, symbolique d’une volonté de ne pas dépendre éternellement des institutions de Bretton Woods. Mais cette stratégie a ses limites : l’accès au marché régional reste coûteux et incertain. Sans l’appui du FMI, le Sénégal risque non seulement de ralentir sa croissance, mais également de devoir rembourser des décaissements antérieurs, un scénario redouté par les autorités. Ce qui devrait être un simple ajustement technique est devenu un test grandeur nature de la sincérité de la coopération internationale. Le FMI, en traînant des pieds, envoie un signal ambigu : la transparence est exigée, mais n’est pas garantie d’un soutien immédiat. Dans les rues de Dakar, la patience s’amenuise. La hausse des prix, la réduction des services publics et la peur d’une nouvelle dégradation du pouvoir d’achat alimentent une colère diffuse. Le nouveau régime, populaire mais sous pression, doit désormais gérer une double crise : économique et morale. Le Sénégal a tenu parole en exposant la vérité sur ses finances. Il a respecté les règles du jeu, engagé des réformes courageuses, et demandé de l’aide avec clarté. Mais en retour, il fait face à un FMI hésitant, qui semble plus prompt à sanctionner les erreurs passées qu’à accompagner les efforts présents. Si le financement n’arrive pas rapidement, c’est la légitimité même du FMI qui sera questionnée dans l’opinion africaine. Et, à terme, le modèle tout entier de l’aide conditionnelle pourrait être remis en cause.