Le Directeur d’AFRICOM, Mamadou Ibra Kane, a annoncé la fermeture des quotidiens Stades et Sunu Lamb en raison d’exercices déficitaires, de dettes colossales envers ses fournisseurs, en particulier étrangers, pour son approvisionnement en intrants, de retards de paiement des salaires, de l’arrêt du paiement des cotisations sociales et des frais pour la couverture maladie. Deux monuments de la presse sénégalaise qui se sont effondrés. Des pères, des mères, et des soutiens de famille se retrouvent ainsi au chômage. Dans l’univers de ces ex-employés des quotidiens Stades et Sunu Lamb, SeneNews a recueilli les confidences de certains d’entre eux. Dans une note rendue publique le 3 août dernier, le Directeur de publication des quotidiens Stades et Sunu Lamb, Mamadou Ibra Kane, a annoncé la suspension de la parution de ces deux journaux. Afin de justifier cette décision qui a conduit de nombreux journalistes au chômage, l’administrateur général du groupe AFRICOM a expliqué, en outre, que depuis deux ans, son entreprise connaît des exercices déficitaires. De plus, ajoute-t-il, « cette crise économique et sociale n’est pas propre à AFRICOM, et les entreprises sénégalaises du secteur des médias risquent de tomber comme des mouches ». Poursuivant ses explications, Mamadou Ibra Kane a soutenu que la presse sénégalaise connaît une crise sans précédent depuis une décennie, crise exacerbée par le Covid-19 et la guerre en Ukraine. Aujourd’hui, les médias sénégalais évoluent dans un environnement très hostile, marqué par la pression fiscale, l’absence de loi sur la publicité, un financement à des taux prohibitifs, et l’inexistence de fonds pour la digitalisation des médias nationaux. Avec la suspension de Stades et Sunu Lamb, l’administrateur d’AFRICOM espère « un environnement plus propice pour le développement des médias au Sénégal, afin de continuer à assurer sa mission de service public dans le domaine du sport ».
Mamadou Ibra Kane : « Le nouveau régime veut exterminer la presse »
Premiers quotidiens sportifs de l’histoire de la presse sénégalaise, Stades et Sunu Lamb ont été créés respectivement en 2004 et 2005, avec des milliers de parutions. Durant toute cette période jusqu’à sa fermeture, le quotidien Stades a été le leader de la presse sportive, se classant au premier ou deuxième rang de l’ensemble de la presse quotidienne nationale. En 21 ans et demi d’existence, Stades a publié six mille deux cent vingt-huit (6 228) numéros, pour un tirage global de plus de deux cents millions d’exemplaires. Si ces quotidiens ont innové dans le traitement de l’information sportive, cela n’aurait été possible sans des centaines de journalistes et techniciens des médias. Avec la fermeture de Stades et Sunu Lamb, ce sont malheureusement « 20 journalistes et techniciens des médias qui ont perdu leurs emplois depuis le 31 juillet 2024 », a déclaré le patron de ces quotidiens. Avec cette annonce de Mamadou Ibra Kane, président du Conseil des Diffuseurs et Éditeurs de Presse du Sénégal (CDEPS), le mal semble profond. Il se désole de voir cette situation critique perdurer sous « le regard passif des nouveaux dirigeants ». De ce point de vue, M. Kane pense qu’en réalité, le nouveau régime, contrairement à toutes les attentes, « veut exterminer la presse. C’est un régime qui n’a aucune vision pour le secteur de la presse. Tous les actes qu’il pose sont totalement contre le secteur ». Le patron de presse n’a pas manqué de manifester sa tristesse face à ces responsables qui ont perdu leurs emplois. « Ce sont des gens qui m’ont fait confiance en tant que chef d’entreprise et directeur de la rédaction. Mais on ne peut pas maintenir des travailleurs qui espèrent être payés et, au final, n’obtiennent pas leur dû. J’ai jusqu’à trois mois d’arriérés de salaire et il y a d’autres entreprises qui vivent pire que moi ». Face à ce constat, d’anciens employés d’AFRICOM, sous le couvert de l’anonymat, ont mis à nu les vraies causes de la fermeture de cette entreprise. Sur SeneNews, ces journalistes qui ont travaillé des années dans la boîte de Mamadou Ibra Kane ont fait des révélations ahurissantes sur la mauvaise gestion de leur ex-patron.
Journaliste au quotidien Stades depuis huit ans : « Il n’y avait pas l’effectif qu’il faut pour pouvoir continuer à éditer un journal »
Journaliste au quotidien Stades depuis huit ans, ce journaliste confirme les propos de Mamadou Ibra Kane puisqu’il lui doit trois mois d’arriérés de salaires. Malgré cela, ce rédacteur déclare n’avoir vu « aucun document qui puisse attester que les quotidiens sont en ruine ». En effet, confie-t-il, « après un contrat de deux ans, j’avais décidé de ne pas le renouveler en juin dernier. À l’époque, il y avait déjà des retards de salaires. Et même entre novembre et décembre, il y avait déjà des journalistes qui avaient quitté l’entreprise de presse. Et cette saignée a continué. Pour combler ce vide, Mamadou Ibra Kane avait recruté des employés pour essayer de pallier ces départs ». De son point de vue personnel sur les raisons de la fermeture d’AFRICOM, cet ex-journaliste témoigne que « c’est parce qu’il n’y avait pas l’effectif qu’il faut pour pouvoir continuer à éditer un journal. À un certain moment, les meilleurs des quotidiens avaient préféré partir ».
Envoyé spécial du journal Stades depuis 19 ans : « Mamadou Ibra Kane est un pur dictateur »
Dans le même sillage, un autre témoignage vient corroborer le premier. Envoyé spécial de la boîte, cet ex-journaliste cadre de Mamadou Ibra Kane, qui est dans cette entreprise depuis 19 ans, déclare : « J’ai cheminé avec lui pendant 19 ans, donc je connais parfaitement la personne de Mamadou Ibra Kane », entame l’ex-envoyé spécial du journal Stades qui affirme qu’il avait un CDI en bonne et due forme. Toutefois, déclare le reporter, « cela ne l’a pas empêché de piétiner ce qui nous liait. C’est pourquoi je l’ai traduit devant le tribunal de Dakar. Et depuis lors, le dossier est pendant devant la justice. Et ce qui est sûr, c’est que j’irai jusqu’au bout. Là, il me doit trois mois d’arriérés de salaires. Mon dossier avec la boîte est toujours en cours à l’inspection du travail. Et il y a beaucoup d’autres dossiers concernant Mamadou Ibra Kane ». Employé au quotidien Stades depuis sa création en 2005, cet ex-journaliste, qui a quitté l’entreprise de presse bien avant sa fermeture, n’a pas épargné son ex-patron. Pour lui, « Mamadou Ibra Kane est un pur dictateur. C’est un patron de presse qui fait du mal, qui porte préjudice à ses employés en les faisant travailler de 12 heures à 22 heures. Il nous faisait travailler même le samedi alors que les quotidiens ne paraissaient pas le dimanche. M. Kane est très dur avec ses employés. Il ne respecte jamais les droits des travailleurs et pourtant il veut à chaque fois que l’État honore ses engagements envers lui. Il me doit beaucoup d’argent parce que j’étais un cadre dans la boîte, étant l’envoyé spécial numéro 1. C’est depuis le mois d’août 2023 que Mamadou Ibra Kane a créé une sorte de crise. Alors qu’AFRICOM n’a jamais été en crise. C’est juste un coup monté par mon ex-patron ». Sans beaucoup d’optimisme, l’administrateur d’AFRICOM avait même prédit que la série de morts d’entreprises de presse risque de s’allonger dans les prochains mois. Selon Mamadou Ibra Kane, « cette crise économique et sociale n’est pas propre à AFRICOM, et les entreprises du secteur des médias risquent de tomber comme des mouches ». Sur ce, le patron de presse avait annoncé une première vague de licenciements au sein d’AFRICOM qui concernait déjà 20 journalistes et techniciens des médias. « Dans les prochains jours, une seconde vague de licenciements concernera le personnel technique et administratif », avait-il assuré.
« Mamadou Ibra Kane n’a licencié que 4 employés »
Ces propos ont été farouchement démentis par cet ex-journaliste de Stades. Selon cet ex-rédacteur, « Mamadou Ibra Kane a seulement cassé huit contrats de stage et mis fin au contrat de prestation de deux correspondants et deux pigistes. Donc, les employés qui avaient un CDI dernièrement dans la boîte sont au nombre de 4. Pour la rédaction, un seul journaliste avait un CDI et il avait une disponibilité pour aller couvrir les JO de Paris. Au lieu que la direction d’AFRICOM lui donne un ordre de mission, il a reçu une disponibilité. Un autre journaliste avait un CDD. Il y a aussi deux monteurs qui avaient également un CDI. Et parmi ces quatre employés, personne n’a reçu une notification de licenciement ». Et cet ex-employé d’AFRICOM d’ajouter : « Aujourd’hui, il y a des entreprises qui fonctionnent très bien et qui n’ont pas d’employés ayant un CDI. Les stagiaires, pigistes et correspondants peuvent faire la promotion d’une entreprise de presse. Ce qui a manqué à AFRICOM, c’est une bonne gestion. Mais avec tout ce qu’il s’est passé, je préfère jeter l’éponge pour aller vers d’autres cieux. Il y a de très bonnes entreprises de presse au Sénégal ».