« Doter le Sénégal de sa propre monnaie », voilà une proposition très osée du candidat à l’élection présidentielle de 2024, Bassirou Diomaye Faye. Dans son programme intitulé « Le projet d’un Sénégal juste et prospère », le candidat de l’ex-Pastef consacre le deuxième chapitre à l’économie endogène et à la souveraineté alimentaire. Dans ce chapitre, il informe qu’une fois élu, « une réforme monétaire sera mise en place afin que notre pays puisse se doter de sa propre monnaie. Toutefois, la mise en place d’une monnaie nationale nécessite le suivi des différentes étapes du processus », assure l’inspecteur des Impôts et des Domaines. Cette volonté d’un des candidats les plus en vue de cette présidentielle soulève des interrogations quant à sa faisabilité et sa pertinence.
« Se séparer du Fcfa démontre une bonne vision »
L’idée de se séparer du FCFA est un discours très populiste et très accrocheur, surtout du côté des jeunes qui ont fixé dans leur mémoire que la monnaie d’usage actuellement au Sénégal, héritée du colon, est le cordon ombilical par lequel le néocolonialisme suce les économies des États membres de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest. Cette idée est également soutenue par d’éminents intellectuels du continent. En examinant les prévisions du FMI concernant les dix pays africains ayant le plus grand produit intérieur brut (PIB) entre 2023 et 2028, il est évident qu’il n’y a aucun pays africain utilisant le franc CFA comme monnaie, qu’il soit d’Afrique de l’Ouest ou d’Afrique Centrale, qui figure sur la liste. Quand on compare le PIB au nombre d’habitants, c’est-à-dire le PIB par habitant, seul le Gabon, avec le franc CFA d’Afrique centrale, est classé parmi les dix premiers pays africains. Il y a quatorze (14) pays africains qui utilisent le franc CFA comme monnaie, ce qui représente cinquante-cinq (55) pays africains. Ainsi, ils représentent 25,45% des pays africains, soit un peu plus de la moitié. Selon le Pr. Mary Teuw Niane, économiste et ancien ministre de la République, la proposition de Bassirou Diomaye est très pertinente dans la mesure où, « au-delà de la mauvaise gestion qui tue les économies africaines, il y a aussi cette dépendance financière du FCFA qui est une autre plaie à éradiquer si nous voulons retrouver des économies en bonne santé. D’ailleurs, ce débat erroné et humiliant sur la monnaie ne se déroule que dans les pays francophones d’Afrique. Dans toute l’Afrique, à l’exception des pays francophones et de la Guinée-Bissau, tous les autres pays ont décidé de développer leur propre monnaie de manière autonome ». « La revendication du Président Abdoulaye Wade de rapatrier les réserves monétaires des pays d’Afrique de la Banque de France à la BCEAO est encore bien connue de tous. Seule une partie a été rapatriée. La majorité demeure dans les réserves de la Banque de France, ce qui prive les pays africains du franc CFA d’un outil essentiel pour les investissements et la régulation économique. Si cette réserve n’a aucune utilité pour la France, pourquoi s’efforce-t-elle de la maintenir au détriment des pays africains qu’elle est censée soutenir ? Les pays africains du franc CFA n’ont pas connu une croissance économique accrue grâce à la relation ombilicale avec l’euro. Le programme de Bassirou Diomaye Faye, citant la création d’une nouvelle monnaie propre au Sénégal, marque un point important, car cela prouve une bonne vision des choses », fait savoir l’ancien ministre de l’Enseignement Supérieur du Sénégal.
Quelle méthode pour Bassirou Diomaye Faye ?
Dans un programme, il est important de mettre des idées accrocheuses, mais il serait mieux si les chapitres du programme incluaient, pour chaque proposition, la source de financement ou la manière de la réaliser, la durée du programme et l’impact sur les populations. C’est justement ce point essentiel que relève Monsieur Babacar Ba Gahn, spécialiste des questions de développement économique. « À la lecture des programmes, je suis quand même resté sur ma faim, je l’avoue. J’ai vu de très belles idées dans l’ensemble, mais qui manquaient quelque chose d’essentiel pour le citoyen. Toutes les propositions émises devraient aussi répondre à la question du comment. Je vais faire ceci ou cela, d’accord, mais il faut nous dire comment tu comptes y arriver. Quels sont les leviers sur lesquels tu comptes t’appuyer pour y arriver ? Sur la question de la monnaie proposée par Diomaye Faye, je pense que ceci devrait être d’abord une volonté sous-régionale. N’oublions pas que nous faisons partie d’une communauté d’États et déjà, au sein de la CEDEAO, il y a le projet de la monnaie unique dénommée Eco, qui est toujours dans le circuit des discussions. C’est une idée assez pertinente. J’attends de voir dans l’élaboration comment cela va se passer. Il faut avoir de l’or pour garantir une monnaie. C’est vrai que nous en avons. Restera maintenant à savoir les mécanismes », affirme M. Ba. Pour une souveraineté économique, le candidat à la présidentielle actuellement en prison ainsi que les autres prétendants à la chaise présidentielle ont du pain sur la planche. Pour avoir hérité d’un pays qui, sur le plan des réalisations infrastructurelles, a fait un très grand bond en avant, mais qui peine toujours à faire profiter pleinement les citoyens les plus reculés dans leur zone géographique des ressources du pays. Les attentes sont nombreuses, surtout que les dernières années de Macky Sall sont marquées par des crises qui ont eu un impact sur l’économie du pays. Il y a eu la Covid-19 d’abord, puis les manifestations politiques qui ont marqué un temps d’arrêt dans la marche de l’économie du pays. Il faudra donc un programme réaliste et réalisable à court terme qui permette à chaque Sénégalais de s’y retrouver.