
À la fin du troisième trimestre 2025, les indicateurs des finances publiques sénégalaises affichent une amélioration notable, dans un contexte pourtant marqué par de fortes tensions budgétaires et financières. Hausse significative des recettes, maîtrise relative des dépenses et capacité à couvrir les charges de trésorerie : les chiffres dessinent un tableau contrasté qui suscite à la fois espoir et prudence. Pour plusieurs experts, cette embellie ne peut être analysée indépendamment de la crise aiguë traversée par le pays depuis 2024. Sur les neuf premiers mois de l’année 2025, l’État du Sénégal a mobilisé 3 254 milliards de FCFA de recettes, soit près de 70 % de l’objectif budgétaire annuel. L’essentiel de cette performance repose sur les recettes fiscales, qui atteignent 2 987,9 milliards de FCFA, correspondant à 72,9 % de la cible annuelle. En comparaison avec la même période de l’année précédente, la progression est de 211,1 milliards de FCFA, soit une hausse de 7,6 %. Les recettes non fiscales se sont élevées à 214,2 milliards de FCFA, représentant 75,8 % de l’objectif annuel. À cela s’ajoutent des dons estimés à 52 milliards de FCFA, soit 18,1 % de la prévision annuelle. Ces dons comprennent à la fois des appuis budgétaires et des dons en capital, leur niveau restant relativement modeste par rapport aux besoins globaux de financement. Les ressources de trésorerie mobilisées sur la période s’élèvent à 3 655,8 milliards de FCFA, soit 64 % du besoin annuel. L’État a principalement eu recours aux marchés financiers, avec 2 775,1 milliards de FCFA levés, représentant 73,6 % des prévisions. Ces ressources ont permis de couvrir l’ensemble des charges de trésorerie et d’absorber un déficit budgétaire de 1 059 milliards de FCFA, un élément jugé déterminant dans un contexte de dette publique sous forte pression.
Des dépenses contenues dans un contexte contraint
En parallèle, les dépenses totales du budget général ont été exécutées à hauteur de 4 313 milliards de FCFA, soit 67,8 % des prévisions de la Loi de finances rectificative 2025, fixées à 6 364,5 milliards de FCFA. Cette relative maîtrise des dépenses apparaît remarquable au regard des contraintes actuelles, marquées par la hausse du service de la dette et la raréfaction des financements concessionnels. Cette discipline budgétaire soulève toutefois une question centrale : s’agit-il d’un redressement durable ou d’un ajustement conjoncturel imposé par la crise ? Pour les économistes Maleine Amadou Niang et Mouhamed Dia, l’amélioration observée à fin septembre 2025 doit être replacée dans le contexte exceptionnel que traverse le Sénégal depuis septembre 2024. La dégradation de la notation souveraine, la flambée des taux d’intérêt et le durcissement drastique des conditions d’accès aux marchés financiers ont considérablement réduit les marges de manœuvre budgétaires de l’État. « Dans un contexte aussi dégradé, le Sénégal se débrouille relativement bien », estime Mouhamed Dia. Selon lui, le pays parvient jusqu’ici à honorer ses échéances et à éviter tout défaut de paiement, malgré l’absence de programme avec le Fonds monétaire international (FMI) et une notation souveraine négative. Face à cette situation, l’État n’avait que deux leviers majeurs : la politique fiscale et la politique budgétaire. Sur le plan fiscal, l’offensive a été marquée par la mobilisation accrue de l’impôt foncier, la taxation des activités numériques, l’élargissement de l’assiette fiscale et l’introduction de nouvelles taxes, notamment sur le mobile money, les jeux de hasard et certains services de télécommunication.
Fiscalité renforcée : un équilibre délicat à trouver
Ces réformes visent à financer le Plan de redressement économique et social (PRES), mais elles suscitent des interrogations quant à leur impact sur l’activité économique. Maleine Amadou Niang, économiste et directeur pays de l’International Budget Partnership (IBP), met en garde contre un modèle trop axé sur la consommation. Selon lui, la montée en puissance des recettes fiscales pose une question cruciale : jusqu’où l’État peut-il accroître la pression fiscale sans étouffer la dynamique économique ? En renchérissant certains services innovants, notamment les paiements numériques, ces taxes pourraient freiner l’activité, décourager l’innovation et favoriser le développement de circuits informels ou clandestins, au détriment de l’assiette fiscale et de la concurrence loyale. Il rappelle qu’en 2026, le taux de pression fiscale est projeté autour de 23 %, un niveau supérieur aux critères de convergence de l’UEMOA. Un seuil qui ne serait soutenable, selon lui, qu’à condition de protéger les populations vulnérables et de limiter les inégalités. Les experts reconnaissent toutefois les avancées enregistrées en matière de gouvernance. Le renforcement de la transparence budgétaire, la loi sur l’accès à l’information et la lutte accrue contre les détournements constituent, selon Maleine Amadou Niang, des fondations essentielles pour restaurer la confiance des investisseurs et des bailleurs de fonds. Néanmoins, il souligne que sans un programme crédible avec le FMI, capable de stabiliser les finances publiques à moyen terme, de préserver les dépenses sociales et d’éviter un choc de liquidité, la reprise resterait fragile. « Face au fardeau insoutenable du service de la dette, l’appui du FMI apparaît comme un levier incontournable », estime-t-il. Un diagnostic partagé par Mouhamed Dia, pour qui l’absence de programme avec le FMI risque d’allonger la durée du redressement sur l’ensemble d’un mandat, avec un coût social et politique élevé. Il évoque une perception généralisée d’un coût de la vie en hausse et d’un pouvoir d’achat en berne, d’où la nécessité d’adosser la rigueur budgétaire à des mesures sociales plus ciblées.
Discipline budgétaire et impératif social
Si la prudence budgétaire est jugée nécessaire, elle est largement considérée comme insuffisante pour relancer durablement l’économie. La récente baisse des prix des produits pétroliers est perçue comme insuffisamment redistributive. Les experts plaident pour une refonte des mécanismes de protection sociale, incluant les allocations familiales et la couverture santé, afin d’agir directement sur le coût des biens essentiels. Sur le moyen terme, Mouhamed Dia appelle à une stratégie en deux temps : une phase initiale de durcissement fiscal, suivie d’un assouplissement progressif. Il estime qu’après deux années d’application rigoureuse des mesures fiscales visant à élargir l’assiette, l’État devra desserrer l’étau pour soutenir la croissance. Parallèlement, il propose des alternatives au financement classique par la dette, telles que les partenariats public-privé, le recyclage d’actifs publics et la valorisation des infrastructures existantes. Au-delà de la mobilisation des recettes, l’enjeu central demeure celui de l’efficacité fiscale. Maleine Amadou Niang plaide pour une rationalisation des dépenses fiscales, notamment les niches et exonérations, afin d’en maîtriser le coût et de s’assurer qu’elles répondent à des priorités économiques clairement identifiées. Il insiste également sur la nécessité de renforcer le recouvrement des impôts directs, historiquement moins performants que les taxes indirectes, d’accélérer la formalisation du secteur informel et d’approfondir la progressivité du système fiscal, afin que l’effort contributif reflète réellement la capacité de chacun. Pour Mouhamed Dia, l’équation ne sera complète qu’avec un renforcement des politiques sociales, des investissements territorialisés et, à terme, une réflexion assumée sur la réorganisation de la dette, aujourd’hui rejetée par l’exécutif mais jugée inévitable à long terme pour desserrer l’étau budgétaire.