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Dans un contexte marqué par la recherche de stabilité macroéconomique et par les discussions en cours entre Dakar et les institutions financières internationales, le Sénégal vient d’opérer l’un des exercices statistiques les plus déterminants de la décennie : le rebasing de son Produit intérieur brut (PIB). Comme le rapporte L’Observateur, cette réévaluation, fondée sur une nouvelle année de base, bouleverse la compréhension de la structure économique nationale, modifie plusieurs indicateurs clés et ouvre des perspectives inédites en matière de politique fiscale, de gouvernance économique et de négociations avec les partenaires techniques et financiers. Pour éclairer ces enjeux, l’économiste Dr Seydina Oumar Seye analyse les transformations révélées par cette mise à jour statistique majeure, ses implications pour les ménages, les entreprises et l’État, ainsi que les risques socio-politiques qui l’accompagnent. « Le rebasing a mis en lumière plusieurs transformations structurelles : le secteur tertiaire renforce sa prédominance, passant de 50,5 % à 53,4 % du PIB ; le secteur informel et les ménages voient leur contribution réévaluée à la hausse (+25 %), confirmant leur poids central dans l’économie ; les institutions sans but lucratif (ISBLSM) voient leur contribution multipliée par plus de trois (+258,8 %), grâce à une meilleure prise en compte. Des enquêtes spécifiques ont été menées pour mieux capter des activités jusque-là sous-estimées : orpaillage, extraction de sable et de sel, transport informel (y compris les mototaxis Jakarta), et même les activités illégales (prostitution, drogue). L’intégration de l’hydraulique rurale et de l’auto-construction des ménages a également contribué à une mesure plus exhaustive de la richesse nationale. » Impacts sur les indicateurs économiques. « Le rebasing a un impact direct sur les indicateurs de convergence de l’UEMOA et de la CEDEAO : le ratio dette publique/PIB passe de 90,8 % à 80,0 % en 2021 ; le déficit budgétaire rapporté au PIB s’améliore, passant de –13,3 % à –11,8 % ; le taux de pression fiscale baisse de 18,0 % à 15,9 %, offrant une marge de manœuvre pour une réforme fiscale plus progressive. Ces améliorations statistiques interviennent à un moment où le Sénégal est engagé dans un programme de restructuration avec le FMI. Elles pourraient faciliter les négociations et alléger les conditionnalités liées à la soutenabilité de la dette. » Selon L’Observateur, le rebasing comporte également des enjeux fiscaux majeurs. « Il va permettre d’élargir l’assiette sans accroître la pression. Comme le souligne l’expert Anouar Ayache, le rebasing ne modifie pas les taux d’imposition, mais élargit l’assiette fiscale. Cela ouvre la voie à une suppression progressive des exonérations, une meilleure traçabilité des transactions informelles et une digitalisation accrue des recouvrements. Cependant, cette modernisation fiscale doit être menée avec prudence pour ne pas peser sur les ménages et les petites entreprises, déjà fragilisés par l’inflation et la crise économique. » Risques socio-politiques. Toujours selon les analyses relayées par L’Observateur, « entre attentes et défiance, le rebasing n’est pas neutre politiquement. Il peut être perçu comme un outil de légitimation des politiques économiques ou, au contraire, comme une manipulation des chiffres pour masquer les difficultés. Dans un contexte politique et social tendu, le gouvernement devra faire preuve de transparence et de pédagogie pour expliquer que le rebasing est une avancée technique, et non une opération politicienne. » Cependant, les autorités doivent tirer les leçons d’autres pays. « Plusieurs pays africains ont connu des rebasings significatifs ces dernières années : – Le Ghana (2010) : son PIB a bondi de 60 %, faisant passer le pays dans la catégorie des États à revenu intermédiaire, mais cette réévaluation n’a pas suffi à éviter une crise de la dette une décennie plus tard. – Le Nigeria (2014) : le PIB a augmenté de 89 %, faisant du pays la première économie d’Afrique. Cependant, les défis structurels (dépendance au pétrole, informalité) sont restés entiers. – Le Kenya (2021) : le rebasing a permis de mieux capter les services et le numérique, mais a aussi révélé des inégalités persistantes. Ces exemples montrent que le rebasing est un outil puissant, mais qu’il doit s’accompagner de réformes structurelles pour être durablement bénéfique. » Un levier d’ajustement. « Le rebasing du Sénégal en base 2021 est une avancée majeure pour la transparence statistique et la planification économique. Il offre une vision plus réaliste de l’économie, renforce la crédibilité internationale du pays et ouvre des perspectives pour une réforme fiscale plus juste. Mais sa réussite dépendra de la capacité des autorités à articuler : modernisation technique et acceptabilité sociale ; rigueur budgétaire et protection des vulnérables ; transparence statistique et pédagogie publique. Dans un Sénégal en quête de redressement économique et de stabilité socio-politique, le rebasing n’est pas une fin en soi. C’est un moyen, parmi d’autres, de construire une économie plus résiliente, inclusive et mieux mesurée », conclut Dr Seydina Oumar Seye, dans un entretien largement repris par L’Observateur.