L’accession au pouvoir de Bassirou Diomaye Faye, le 24 mars dernier, a marqué une volonté populaire de rompre avec les modèles économiques successifs mis en place depuis l’indépendance du Sénégal, de Léopold Sédar Senghor à Macky Sall. Sous l’impulsion de la nouvelle majorité, un référentiel économique inédit a vu le jour, promettant une prise en charge des préoccupations nationales avec une approche novatrice. Cependant, cette rupture exige un courage politique assumé, théorisé par Tahirou Sarr, président du Mouvement Nationaliste Sénégalais (MNS). Sa vision repose sur un nationalisme économique qui prône la primauté des citoyens sénégalais dans tous les secteurs d’activité, parfois au détriment des étrangers.
Le programme controversé du Mouvement Nationaliste Sénégalais
Tahirou Sarr polarise l’opinion publique par ses idées radicales. Pour certains, il incarne un mélange des idéologies de Marine Le Pen et Éric Zemmour, jugées incompatibles avec l’hospitalité légendaire du Sénégal. Ses propositions, souvent taxées de xénophobes, suscitent de vives critiques. Voici les principaux points de son programme :
1. Gestion stricte des demandes d’asile, avec un examen approfondi des profils dès les frontières.
2. Introduction de quotas annuels pour l’immigration, limitant l’entrée des étrangers.
3. Déclaration obligatoire des enfants d’étrangersauprès de leurs ambassades respectives.
4. Abolition du droit du sol, réduisant l’accès à la nationalité sénégalaise pour les enfants nés de parents étrangers.
5. Renforcement de la carte de séjour obligatoire, sauf pour les ressortissants gambiens.
6. Réduction ciblée de certaines communautés, notamment les mendiants et les Guinéens, pour lutter contre l’immigration de peuplement.
7. Interdiction aux femmes libanaises d’accoucher au Sénégal, évoquant une réciprocité des pratiques au Liban.
8. Permis de travail sous contrôle strict, supervisé par l’inspection du travail.
9. Expulsion systématique des étrangers en situation irrégulière, incluant clandestins, criminels et certains acteurs religieux.
Ces propositions, que Sarr entend soumettre à l’Assemblée nationale, traduisent une volonté de rupture radicale. Selon l’économiste Meïssa Diop, elles s’inspirent de modèles internationaux comme ceux de la Thaïlande ou du Ghana, qui privilégient leurs citoyens dans la gestion des ressources nationales.
Un courant qui divise
Dans un contexte mondial marqué par une montée du souverainisme, le programme du MNS s’inscrit dans une tendance globale. En Afrique, les régimes militaires au Mali, au Niger et au Burkina Faso défendent des idéaux similaires. Toutefois, cette approche suscite des réserves au Sénégal, en raison de son appartenance à des organisations sous-régionales comme l’UEMOA et la CEDEAO, qui promeuvent l’intégration économique et culturelle.
Pour Yoro Dia, docteur en relations internationales, « l’idéologie nationaliste de Tahirou Sarr est incompatible avec les principes de gouvernance mondiale. Le Sénégal, en tant que membre de communautés régionales, ne peut adopter des politiques en contradiction avec ces cadres. De plus, Ousmane Sonko, figure du nouveau régime, se revendique panafricaniste, ce qui rend cette vision difficilement applicable. »
Des ajustements nécessaires pour le contexte sénégalais
Malgré les critiques, certains analystes estiment que le nationalisme économique peut offrir une alternative viable à l’économie sénégalaise, à condition d’être adapté. Pour le Pr Moustapha Kassé, ancien conseiller de Macky Sall, « le concept tel que formulé par Tahirou Sarr est inapproprié. Il contient des relents de xénophobie et cible injustement certaines communautés. Nous devons développer un modèle de nationalisme économique compatible avec nos valeurs et nos engagements internationaux. »
Le Pr Kassé propose de repenser la terminologie et d’adopter des mesures plus inclusives, tout en protégeant les intérêts nationaux. « L’économie est guidée par les intérêts, pas par les émotions. Toutefois, des réformes doivent être menées avec diplomatie, en évitant tout sectarisme. »
Vers un débat structurant pour l’avenir
Le Mouvement Nationaliste Sénégalais, dirigé par Tahirou Sarr, soulève des questions fondamentales sur la souveraineté et la gestion des ressources nationales. Si ses propositions divisent, elles ont le mérite de susciter un débat crucial sur l’avenir du Sénégal dans un monde globalisé. Reste à savoir si ce courant pourra trouver une place dans le système politique et économique du pays, tout en respectant les valeurs d’hospitalité et de solidarité qui font la richesse du Sénégal.