Dans la foulée du lancement de son Plan de redressement économique et social, le Sénégal sous la présidence de Bassirou Diomaye Faye et la direction du Premier ministre Ousmane Sonko affiche une volonté claire : prendre ses distances avec le FMI et la Banque mondiale. Ce tournant, salué par une frange de l’opinion comme un geste fort de souveraineté, suscite néanmoins de vives interrogations parmi les économistes. Le cœur du débat : le pays dispose-t-il réellement des moyens pour financer seul son redressement sans le concours des bailleurs de fonds traditionnels ? Et surtout, à quel prix ? L’orientation stratégique du duo Diomaye-Sonko repose sur une refondation profonde du rapport du Sénégal à l’aide extérieure. Pour Ousmane Sonko, il est impensable que 65 ans après l’indépendance, le pays continue de se tourner vers l’étranger pour résoudre ses crises économiques. Le Premier ministre en appelle au sursaut national, à la mobilisation des ressources internes et à une réduction maîtrisée de la dépense publique, couplée à un financement endogène sans surendettement. Un discours de rupture, empreint de souveraineté, qui rompt avec la tradition de dépendance vis-à-vis des institutions de Bretton Woods, notamment en période de tensions budgétaires. Pour soutenir cette ambition, le gouvernement annonce vouloir mobiliser plus de 5 667 milliards de FCFA de ressources internes. Une enveloppe jugée suffisante, selon l’économiste Moubarack Lô, pour enclencher la relance, sans recourir impérativement à l’aide du FMI. Il estime que le soutien du Fonds, bien que toujours utile, n’est pas indispensable à court terme, tant que le pays parvient à assurer un minimum de discipline budgétaire et de mobilisation fiscale. En somme, le gouvernement peut, selon lui, prendre une forme de distance sans couper les ponts, ce qui marquerait un tournant symbolique dans les relations Nord-Sud. L’économiste Felwine Sarr, de son côté, abonde dans le même sens. Pour lui, la véritable souveraineté réside dans la capacité du Sénégal à diversifier ses sources de financement et à réduire progressivement la part du FMI dans son budget, sans pour autant le rejeter complètement. Il préconise une stratégie d’indépendance maîtrisée, où l’État sénégalais prendrait progressivement le contrôle de sa trajectoire financière tout en conservant un dialogue ouvert avec ses partenaires.
Mais un retrait complet du FMI, un pari lourd de conséquences
Cependant, l’analyse de plusieurs spécialistes tempère l’enthousiasme du gouvernement. Amath Ndiaye, professeur d’économie à l’Université Cheikh Anta Diop, insiste sur un point crucial : le soutien du FMI reste vital. Il joue un rôle de stabilisateur budgétaire et monétaire, en finançant à des taux concessionnels une partie du déficit public, tout en soutenant la balance des paiements en devises. Surtout, il envoie un signal de confiance aux autres bailleurs et investisseurs étrangers. « Le passage du FMI dans un pays, lorsqu’il valide les comptes publics, agit comme une caution de sérieux », note-t-il. Cet avis est partagé par Moubarack Lô, qui insiste sur la réputation financière du pays sur la scène internationale. « Même si on peut se passer de ses décaissements à court terme, on ne peut pas ignorer ce que le FMI représente aux yeux des partenaires. Tôt ou tard, cela vous rattrape », avertit-il. L’enjeu dépasse le seul financement : il touche à la crédibilité internationale du Sénégal, et à sa capacité à continuer d’attirer les IDE, les aides bilatérales et les financements structurés. Dans un contexte marqué par un déficit commercial chronique, une inflation résiduelle et une dette publique encore élevée (malgré des efforts de consolidation), la tentation de s’affranchir des institutions de Bretton Woods peut s’avérer prématurée. De nombreux pays africains ayant tenté une rupture brutale ont fini par revenir vers le FMI, parfois dans des conditions bien plus défavorables. Moubarack Lô recommande donc une approche pragmatique. Il salue l’initiative de mener des réformes structurelles avant même l’arrivée du FMI, ce qui renforcerait la position de négociation du Sénégal. Mais il déplore le ton « trop souverainiste » du discours gouvernemental, estimant que la souveraineté économique ne se proclame pas, elle se construit dans le silence, avec des choix intelligents et des alliances bien négociées. En d’autres termes, la souveraineté ne signifie pas l’isolement. Le Sénégal peut réduire sa dépendance, diversifier ses partenaires et renforcer son tissu productif local sans renier les mécanismes de coordination mondiale, surtout en période de transition économique.
Entre volonté politique et impératifs économiques
Le Plan de redressement économique et social proposé par le tandem Diomaye-Sonko est porteur d’une vision ambitieuse : celle d’un Sénégal plus autonome, plus responsable, et moins tributaire des diktats extérieurs. Cette volonté, salutaire dans son esprit, risque toutefois de se heurter aux réalités structurelles de l’économie sénégalaise, qui reste vulnérable aux chocs exogènes et encore trop dépendante des transferts, des financements extérieurs et des importations. Le défi est donc double pour le nouveau régime : redresser les finances publiques par des réformes courageuses, sans compromettre la confiance des partenaires financiers ; renforcer les ressources domestiques, sans alourdir la pression fiscale sur une économie déjà éprouvée. Cela nécessite une gouvernance exemplaire, une transparence budgétaire sans faille, et une communication plus stratégique vis-à-vis des partenaires. L’équation est complexe, mais pas insoluble. Le Sénégal peut s’émanciper progressivement, à condition de ne pas céder au romantisme souverainiste au détriment du réalisme économique. Le FMI et la Banque mondiale, bien qu’imparfaits, demeurent des instruments de stabilité dans un monde interdépendant. S’en éloigner, oui, mais intelligemment, graduellement, et surtout sans fanfare.