Depuis le début de l’exploitation et de la commercialisation du pétrole sénégalais, une question brûle les lèvres des observateurs et des citoyens : combien le Sénégal gagne-t-il réellement de son pétrole ? Alors que le bloc de Sangomar a généré entre 2004 et 2025 des recettes globales estimées à 1 536 milliards F CFA, le débat sur la part effectivement perçue par l’État reste vif et alimente controverses et interrogations. Entre projections optimistes, chiffres officiels et analyses indépendantes, la réalité financière de ce gisement stratégique suscite des discussions passionnées. Pour mieux comprendre l’enjeu, il est essentiel d’analyser les données disponibles et de les rendre accessibles au grand public afin de mesurer l’impact concret sur l’économie nationale.
Des recettes et des prévisions
Le ministre du Pétrole et du Gaz a publié un communiqué sur les recettes issues de Sangomar entre juin 2024 et juin 2025. Dans ce document, il est fait état de 1 536 milliards F CFA générés grâce à la commercialisation du pétrole. Mais quelle est la part réelle de l’État du Sénégal ? « Le chiffre de 67 milliards F CFA correspond à la part profit-oil effectivement reversée au Sénégal sur un volume de 1 536 milliards F CFA générés entre juin 2024 et juin 2025. Il faut comprendre par-là que cette somme est ce que l’État a réellement perçu. Contrairement aux projections faites pour les prochaines années, où le Sénégal pourra gagner beaucoup plus. Pour le moment, c’est une part très basse : à peine 4 % des recettes, alors que l’étude indépendante de l’économiste Ibnou Sougoufara (cité par Le Marché) évalue la part réelle à 516 milliards F CFA, soit 34 %, une fois les coûts d’investissement amortis », explique Ibrahima Fall, journaliste-économiste du magazine Ecofinance. Les 516 milliards F CFA évoqués par certaines figures du régime ne sont donc qu’une projection, que l’État du Sénégal pourrait atteindre d’ici quelques années si de nombreuses conditions sont réunies. Mais même cette prévision semble surestimée, selon certains observateurs : « La base de calcul qui a conduit à ce chiffre de 516 milliards, soit 34 %, est très fragile. Pour atteindre ce résultat, il faudrait réunir beaucoup de conditions qui ne sont pas évidentes. Cela suppose d’abord un prix moyen du pétrole supérieur à 80 USD et une production journalière de 100 000 barils dès 2025. Tout le monde sait qu’actuellement le prix du baril, même avec les crises qui secouent le monde, atteint rarement les 80 USD. C’est une projection théorique : prix multiplié par volume sur la durée de vie entière du gisement (≈ 20 ans), utilisée par les économistes pour calculer la part maximale possible du Sénégal (≈ 516 milliards). Or, à l’heure actuelle, la production journalière de Sangomar est estimée à seulement 10 000 barils par jour », ajoute Ibrahima Fall.
Le Sénégal a-t-il été berné par Woodside ?
Au bloc de Sangomar, Woodside, l’entreprise australienne exploitante, détient 82 % des parts, tandis que l’État du Sénégal ne se contente que de 18 % via PETROSEN. D’après les recherches menées par SeneNews, Woodside aurait « roulé dans la farine » l’État du Sénégal. Dans la sous-région, les États tirent beaucoup plus de bénéfices de l’exploitation de leurs ressources énergétiques :
- Ghana (Jubilee) : 37 % pour l’État ghanéen via GNPC
- Côte d’Ivoire (Baleine) : 45 % pour PETROCI
- Mauritanie (GTA gaz) : 28 % pour la SNIM + part additionnelle en redevance
- Nigeria (deep-water PSC) : 55-60 % de rente fiscale + 18-20 % carried interest pour NNPC
- Sénégal (Sangomar) : seulement 18 % pour PETROSEN
Cette étude comparative montre que le Sénégal est clairement lésé dans l’exploitation de son pétrole. Même la Mauritanie avec GTA ou la Côte d’Ivoire disposent de meilleures conditions que nous.
Les promesses de renégociation
Comme annoncé, les nouvelles autorités ont affiché leur volonté de renégocier les contrats pétroliers et gaziers. En avril 2024, le président Bassirou Diomaye Faye déclarait : « Nous allons renégocier les contrats et veiller à ce que les revenus pétroliers soient investis dans d’autres secteurs ». Il avait été suivi par le Premier ministre Ousmane Sonko qui, en août 2024, annonçait la création d’une commission d’experts chargée de « revoir et rééquilibrer » les contrats pétroliers, gaziers et miniers. Il faut rappeler que cette démarche est légitime au regard de la loi sénégalaise, car l’article 71 de la Constitution confère au président le pouvoir de négocier et ratifier les traités. Il peut donc engager une révision. Mais si les annonces ont été faites depuis 2024, le dossier n’a pas avancé. La raison ? Sa complexité. « La plupart des accords signés avec Woodside (Sangomar) et les pétroliers du GTA contiennent des stabilisation clauses qui verrouillent les conditions fiscales et juridiques. Toute modification unilatérale expose l’État à un arbitrage international. Ces contrats ne prévoient pas de clause automatique de révision ; il faudra donc convaincre les partenaires ou leur offrir des contreparties (extension de champ, nouveaux blocs, etc.) », explique le journaliste expert. Woodside a déjà menacé de saisir le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) contre l’État du Sénégal si des changements unilatéraux touchaient à ses droits acquis.