Malgré une baisse spectaculaire des cours mondiaux du pétrole, les prix du carburant et de l’électricité au Sénégal demeurent inchangés. Alors que dans plusieurs pays de la sous-région les consommateurs bénéficient de cette embellie, les Sénégalais attendent encore une répercussion positive. SeneNews a mené l’enquête pour comprendre les raisons de cette inertie, entre choix politiques, délais contractuels et enjeux budgétaires. Depuis mars 2025, le prix du baril de Brent — qui sert de référence sur le marché mondial — a continué de chuter. Selon les données de prixdubaril.com, il est passé de 75,4 dollars à 72,7 dollars en mars, avant de glisser davantage ces derniers jours autour de 66 dollars. De son côté, le WTI américain est tombé de 64,31 dollars à 62,29 dollars. Dans d’autres pays africains, les effets ne se sont pas fait attendre. La Côte d’Ivoire, par exemple, a baissé le 31 mars le prix du super sans plomb de 875 à 855 F CFA, et le Burkina Faso a suivi avec une réduction similaire. Mais au Sénégal, le litre d’essence reste figé à 990 F CFA, soit l’un des prix les plus élevés de la sous-région. La question devient alors inévitable : pourquoi cette différence ? Selon un expert interrogé par SeneNews, qui a travaillé pendant cinq ans dans la commercialisation du pétrole, du gaz et de leurs dérivés pour Gasnatural Fenosa (devenue Naturgy), la réponse est complexe. « Ce n’est pas automatique. Les contrats sont souvent indexés sur des bases trimestrielles ou semestrielles », explique-t-il. Ce décalage signifie que même si le prix baisse aujourd’hui sur le marché international, l’effet sur les prix locaux ne se fait sentir qu’après plusieurs mois. « Si vous voyez le chiffre 303 sur un contrat pour janvier 2025, cela veut dire que la baisse de ce mois-ci apparaîtra seulement quatre mois plus tard », détaille-t-il.
Un choix politique plus qu’une contrainte technique
Au-delà des délais contractuels, la véritable explication semble être d’ordre politique. Le gouvernement pourrait décider d’agir immédiatement en modifiant la fiscalité appliquée aux produits pétroliers. « C’est la vache à lait du pouvoir », souffle notre expert. Les taxes sur l’essence et le gasoil sont en effet très élevées au Sénégal, ce qui annule souvent les effets des baisses internationales. « La taxation élevée sur le prix de la molécule annihile ou amplifie les mouvements de baisse ou de hausse des prix au niveau local », précise-t-il. Dans son adresse à la Nation du 3 avril, le président Bassirou Diomaye Faye avait réaffirmé son engagement à lutter contre la vie chère. Le Premier ministre Ousmane Sonko avait abondé dans le même sens quelques jours plus tard devant l’Assemblée nationale. Pourtant, aucune mesure concrète n’a encore été prise concernant le pétrole ou l’électricité, deux secteurs qui impactent directement le quotidien des Sénégalais. Pourtant, toutes les conditions semblent réunies : le dollar, traditionnellement fort face au franc CFA, est lui aussi en chute libre. Il est passé de 638 FCFA à 576 FCFA ces dernières semaines. Résultat : non seulement le pétrole coûte moins cher sur le marché international, mais en plus, il est payé avec un dollar affaibli, ce qui réduit davantage son coût pour les importateurs sénégalais. En comparaison, d’autres gouvernements de la sous-région n’ont pas attendu. Ils ont utilisé les marges générées par la baisse du baril pour soulager immédiatement les consommateurs, parfois en revoyant aussi à la baisse certaines taxes ou en renforçant leurs politiques de subvention.
Les mécanismes internes qui freinent la baisse
Derrière la stagnation des prix, il existe aussi des facteurs structurels internes. Au Sénégal, la gestion du prix du carburant et de l’électricité est encadrée par deux entités principales : le Conseil de régulation de l’électricité et la Direction des hydrocarbures. Celles-ci travaillent en coordination pour évaluer régulièrement les évolutions des coûts et faire des propositions au gouvernement. Cependant, dans la pratique, ces régulations se font souvent à une fréquence annuelle plutôt qu’immédiate. Ce système de péréquation budgétaire annuelle permet au gouvernement d’intégrer les fluctuations sur plusieurs mois avant d’ajuster ses prix officiels. « Généralement, c’est en fin d’année que les autorités font le point de toutes ces fluctuations », explique une source à SeneNews. Un autre facteur non négligeable est la situation géopolitique mondiale. Les tensions actuelles dans le Golfe, notamment entre les États-Unis et l’Iran, laissent planer une menace sur les prix du pétrole. Une escalade militaire pourrait inverser brutalement la tendance baissière observée. Dans un contexte aussi incertain, il est compréhensible que certains gouvernements préfèrent rester prudents. Pour autant, la frustration des Sénégalais est légitime. Car aujourd’hui, malgré un baril qui coûte près de 20 dollars de moins qu’il y a un an, et malgré un dollar affaibli, l’essence, le gasoil et l’électricité restent inaccessibles pour de nombreuses familles. La baisse mondiale du pétrole est une opportunité économique que le Sénégal tarde à saisir. Alors qu’attendent les autorités pour agir ? À ce stade, le statu quo semble être un choix stratégique autant qu’une contrainte technique. Mais dans une conjoncture marquée par la cherté de la vie, la pression populaire pourrait forcer la main au pouvoir plus rapidement que prévu.