L’annonce récente d’un audit financier des 14 sociétés minières dans lesquelles l’État sénégalais détient des participations marque un tournant décisif dans la gestion des ressources naturelles du pays. Sous la direction de Me Ngagne Demba Touré, la Société des Mines du Sénégal (Somisen) entend mettre un terme au laxisme et aux irrégularités qui ont caractérisé ce secteur stratégique. Cette démarche, bien que salutaire, met en lumière des paradoxes et des failles structurelles qui freinent l’optimisation des retombées économiques pour le Sénégal.
Une sous-participation étatique problématique
Le premier constat accablant est le faible niveau de participation de l’État dans ces sociétés. En théorie, l’État a le droit de monter jusqu’à 15 % dans les capitaux des sociétés minières, conformément au Code de l’UEMOA. Cependant, il s’est limité à 10 %, un seuil bien inférieur à celui pratiqué par des pays comme le Mali. Cette sous-participation réduit non seulement le pouvoir de décision de l’État, mais aussi les retombées économiques potentielles. Ce paradoxe est aggravé par l’absence de représentants étatiques dans les conseils d’administration et les assemblées générales des entreprises concernées, en dépit des dispositions légales. Bien que la Somisen, créée en 2020, ait pris l’initiative d’adresser un courrier aux sociétés minières pour corriger cette situation, seules 11 des 14 entreprises se sont conformées. Les résistances notoires de Grande Côte Opération (GCO), Dangote et les Industries Chimiques du Sénégal (ICS) illustrent les limites du pouvoir de l’État face à des acteurs privés puissants.
Des dividendes dérisoires face à des profits colossaux
Un autre point préoccupant réside dans les revenus générés par ces sociétés et leur redistribution à l’État. Les données révèlent un déséquilibre criant entre les profits réalisés et les dividendes versés. Par exemple, Sabodala, acteur majeur de l’exploitation aurifère, devrait générer environ 400 milliards de FCFA cette année, avec un prix de l’or oscillant entre 2 500 et 2 600 dollars l’once. Pourtant, la société ne versera que 5 milliards de FCFA à l’État, un montant largement insuffisant au vu de ses performances. La situation est encore plus alarmante dans d’autres secteurs. La Somiva, exploitante des phosphates de Matam, illustre parfaitement ce déséquilibre. Malgré une production de 600 000 tonnes de phosphate en 2022, elle propose de verser à la Somisen un maigre dividende de 80 millions de FCFA, un chiffre qui frôle l’indécence.
Vers une refonte nécessaire du cadre de gestion minière
Face à ces constats, l’audit financier initié par la Somisen arrive à point nommé. Il ne s’agit pas seulement d’examiner les comptes de ces entreprises, mais aussi d’instaurer une nouvelle dynamique dans la gouvernance des ressources minières. Une réforme structurelle s’impose pour renforcer la participation étatique, garantir une juste redistribution des richesses et imposer le respect des obligations légales par les sociétés minières. Il est crucial que les autorités sénégalaises adoptent une posture plus ferme envers les entreprises récalcitrantes. Cela pourrait inclure la révision des contrats d’exploitation, la renégociation des clauses financières et la mise en place de sanctions dissuasives en cas de non-conformité. Par ailleurs, une meilleure transparence dans la gestion des dividendes permettra de restaurer la confiance des citoyens dans ce secteur.