« Nous sommes un pays de manipulation », ces propos, sortis de la bouche du chef du gouvernement Ousmane Sonko, sont certes d’une extrême gravité, mais semble également trahir une volonté de manipulation des masses de la part des hautes autorités, surtout au vu de ce qui est ressorti de la conférence avec les journalistes, ce jeudi, au Building administratif. Le chef de la Primature, lors de cette rencontre, a voulu faire croire que l’ancien régime, dirigé par Macky Sall, falsifiait des documents administratifs pour berner des instances financières telles que le FMI et la Banque mondiale. Cette information, perçue comme une nouvelle dose d’anesthésie face aux quotidiens des Sénégalais, sonne aussi comme une balle que le Premier ministre s’est tirée dans le pied, car en accusant l’ancien régime, il a accusé son actuel ministre des Finances, Cheikh Diba, qui était au cœur de toutes les opérations. Mieux encore, Oulimata Sarr, la petite sœur du ministre de l’Économie, Bamba Diop, le secrétaire général du ministère de l’Économie, du Plan et de la Coopération, et Al Amine Lô, le secrétaire général du gouvernement, se retrouvent tous sur le banc des accusés et doivent rendre des comptes au peuple sénégalais. Explications.
Un régime trempé jusqu’au cou
« Le régime du Président Macky Sall a menti au peuple, a menti aux partenaires pour manipuler les chiffres ». « C’est d’une gravité extrême », a martelé le Premier ministre Ousmane Sonko, après l’exposé de la situation fait par le ministre de l’Économie, du Plan et de la Coopération, Abdourahmane Sarr. Ce tripatouillage des chiffres soulève un grand débat, car des dignitaires de l’actuel régime faisaient partie du système d’endettement du Sénégal sous l’ancien régime. D’abord, l’actuel ministre des Finances, Cheikh Diba, était le directeur de la Programmation budgétaire relevant de la Direction générale du Budget, où il a fait preuve de qualités humaines et professionnelles reconnues par ses pairs. Cette position lui permettait d’être au cœur de tous les montages financiers des créances contractées par le Sénégal auprès des institutions financières. Sous le régime de Macky Sall, selon un spécialiste, les tâches de M. Diba en tant que directeur de la Programmation budgétaire étaient très précises :
- « Veiller à la conformité des documents budgétaires de l’État ainsi que des autres organismes publics avec les principes et normes admis en matière de gestion axée sur les résultats. »
- « Piloter le processus d’examen et d’arbitrage des documents budgétaires pluriannuels, tels que les documents de programmation pluriannuelle des dépenses. »
Ces missions, attendues du directeur général, sont d’ailleurs confirmées par Cheikh Diba lui-même dans un entretien accordé à la revue ECHOFINANCES, éditée par le ministère des Finances et du Budget en janvier 2024, alors qu’Ousmane Sonko n’était pas encore Premier ministre. Ousmane Sonko, en tant qu’ancien élève de l’École nationale d’administration, ne peut ignorer ce rôle de premier plan que Cheikh Diba jouait dans les finances du Sénégal. Ainsi, si Ousmane Sonko accuse l’ancien régime, son ministre des Finances serait le premier à répondre de ces allégations. Dans la communication du Premier ministre hier, il n’y a pas que Cheikh Diba qui a été impliqué. Al Amine Lô, le secrétaire général du gouvernement, présent lors de cette conférence de presse, doit également rendre des comptes. Il était le directeur de la BCEAO et c’est lui qui devait normalement fournir les chiffres à la Banque mondiale et aux institutions financières. En cas de créance accordée à un État comme le Sénégal, le FMI ou la Banque mondiale envoient les fonds à la banque centrale. Et dans le processus de remboursement des dettes, les chiffres passent également par cette même banque, alors dirigée par Al Amine Lô, par ailleurs frère de l’économiste Moubarack Lô. Si l’État manipule les chiffres, le directeur général de la BCEAO ne saurait en être exclu. Dans cette affaire de grande envergure, il serait difficile de ne pas établir la responsabilité de Bamba Diop, le secrétaire général du ministère de l’Économie, du Plan et de la Coopération. Ce dignitaire de l’actuel régime était aussi au cœur des finances de la République sous Macky Sall. En tant que directeur général de la Planification et des Politiques économiques, il était responsable de la vision économique. Tous les fonds que le pays recevait des institutions internationales passaient par ses mains, car il était chargé de veiller à leur répartition dans les programmes pour lesquels ils avaient été contractés. Il veillait aussi à l’évaluation des projets issus de la dette extérieure, selon un spécialiste qui s’est confié à SeneNews sous couvert d’anonymat. Dieu a fait que, lors de cette conférence de presse, le ministre de l’Économie Abdourahmane Sarr était présent. Personne n’est plus apte à clarifier cette situation que sa sœur, Oulimata Sarr, ancienne ministre de l’Économie, qui avait signé les conventions de prêt au nom de l’État du Sénégal. Dans ce soi-disant deal de falsifications des chiffres, Ousmane Sonko, sans le savoir, a mis sur le banc des accusés de hauts dignitaires de son propre régime. Cherchant à faire porter toute la responsabilité de la crise actuelle au régime de Macky Sall, le Premier ministre s’est complètement lâché. Pire encore, les Sénégalais exigent que toute la lumière soit faite sur cette affaire gravissime. Pour que cette demande soit satisfaite, Cheikh Diba, le ministre des Finances, Al Amine Lô, le secrétaire général du gouvernement, et Bamba Diop, le secrétaire général du ministère de l’Économie, du Plan et de la Coopération, doivent démissionner sans délai et se mettre à la disposition de la justice.
Les dates clés de cette histoire
À vrai dire, depuis que ce régime est arrivé au pouvoir, les membres du gouvernement ont rencontré les instances du FMI à quatre reprises. La première rencontre s’est tenue du 15 au 21 avril 2024, avec une délégation conduite par le ministre des Finances et du Budget, composée du ministre de l’Économie, du Plan et de la Coopération, du ministre de l’Énergie, du Pétrole et des Mines, ainsi que du secrétaire général du gouvernement. Cette rencontre était le premier contact entre les nouvelles autorités sénégalaises et le FMI. Suivirent des visites du 25 avril au 3 mai à Dakar, du 6 au 9 juin, et enfin la dernière rencontre, qui eut lieu du 5 au 12 septembre 2024. Durant ces quatre réunions entre l’État du Sénégal et le FMI, il n’a jamais été mentionné dans leurs communiqués que les chiffres de base avaient été manipulés. Pour rappel, la dernière fois que les accords FEC/MEDC et FRD ont été approuvés par le Conseil d’administration du FMI, c’était le 26 juin 2023. En réalité, vu la situation économique peu reluisante du pays, le FMI exige que l’État du Sénégal cesse les subventions sur le carburant et l’électricité. Ce n’est donc pas une affaire de chiffres manipulés, mais bien une vision imposée par l’instance financière qui risque de coûter très cher au nouveau régime.