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Dans ce pays musulman à 95% et très pratiquant, l’homosexualité est largement considérée comme une déviance. Et quelques années après la proclamation de l’indépendance du Sénégal, un article a été introduit afin de réprimer par un emprisonnement d’un à cinq ans les actes dits « contre nature avec un individu de son sexe ». Mais aujourd’hui, cela ne semble plus suffire, puisque des organisations religieuses ont tenté, en 2023, de durcir la législation. En vain. De plus, le Sénégal connaît désormais des manifestations exigeant la criminalisation de l’homosexualité, déjà considérée comme un délit dans le pays d’Afrique de l’Ouest. Or, économiquement, est-ce que cette radicalisation serait bénéfique pour le Sénégal ?

L’article 319, alinéa 3, jugé insuffisant pour réprimer l’homosexualité

L’homosexualité est punie au Sénégal par l’article 319 du Code pénal, alinéa 3, issu de la loi 66-16 du 12 février 1966 : « Sans préjudice des peines plus graves prévues par les alinéas qui précédent ou par les articles 320 et 321 du présent Code, sera puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 100 000 à 1 500 000 francs, quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe. Si l’acte a été commis avec un mineur de 21 ans, le maximum de la peine sera toujours prononcé ». Pourtant cette loi est jugée insuffisante par des associations islamiques comme « And Sam Jikko Yi » qui avait présenté une pétition contre la promotion de l’homosexualité au Sénégal et sa criminalisation. Ce texte qui était porté par onze députés dont au moins un de la majorité présidentielle proposait de modifier l’alinéa 3 de l’article 319 du code pénal pour punir désormais d’une peine de cinq à dix ans d’emprisonnement ferme et d’une amende de 1500 à plus de 7 000 dollars sans possibilité d’accorder des circonstances atténuantes, quiconque aura été reconnu coupable d’actes contre nature. Toutefois, la proposition a été rejetée par le parlement qui s’est aligné sur la décision gouvernementale contre toute dépénalisation et légalisation de cette pratique sexuelle. Désigné comme un des pays vitrines de la démocratie et des Droits de l’homme en Afrique, le Sénégal s’expose tout de même à une stigmatisation par ses partenaires économiques, politiques et culturels dans l’hypothèse de l’adoption d’une loi criminalisant l’homosexualité.

Les pays ayant criminalisé l’homosexualité

Même si, énumère Assane Samb, l’analyste politique de la rédaction de SeneNews, « ils sont au moins 31 pays africains à criminaliser l’homosexualité. Peu de pays y sont favorables. Le champion, en la matière, est l’Afrique du Sud qui a légalisé le mariage homosexuel. Les pays les plus hostiles sont la Gambie, la Sierra-Léone et surtout la Somalie qui punit la pratique de la peine de mort. Les autres pays sont comme le Sénégal : pas de légalisation mais aussi pas de criminalisation ». Pourtant, l’actuel premier ministre Ousmane Sonko avait promis de criminaliser l’homosexualité, mais son discours a totalement changé après la visite de Jean-Luc Mélenchon, en affirmant que le phénomène est toléré au Sénégal. Il affirme même que depuis l’aube des temps les Africains ont vécu avec l’homosexualité sans aucun problème et que les peuples africains ont toujours su leur accorder une place, les gérer, et même donner une certaine sémantique au phénomène en parlant de « gor-jiguene ». Cependant, précise le politologue, « cette tolérance, c’est sur le plan juridique. Car, du point de vue socioculturel, il y a une réelle hostilité envers la pratique. D’ailleurs, des organisations religieuses ont tenté, en 2023, de durcir la législation. En vain. Les autorités n’osent pas aller dans le sens de la criminalisation ». Et pour cause, détaille-t-il, « les pays occidentaux et les institutions de Bretton Woods y sont très hostiles. Et des organisations comme Amnesty Internationale veillent au grain. C’est exactement ce qui s’est passé au Ghana en 2023 où le Ministre des Finances a dissuadé le président de la République Akufo-Ardo d’aller dans ce sens qui risque de ne pas bénéficier des financements attendus de la Banque mondiale. L’institution a été très claire à ce propos en proférant des menaces de non-décaissement de fonds ». Le Sénégal a, plus que jamais, une place importante dans la stratégie américaine en Afrique. Le pays est souvent choisi par les officiels américains lorsqu’ils effectuent des tournées en Afrique. Les investissements américains au « pays de la Téranga » sont en augmentation ces dernières années, et 50 entreprises américaines opèrent dans divers secteurs, notamment les infrastructures, les technologies de l’information et des communications, l’énergie, les transports, l’hôtellerie et les services financiers.

La délicate question des attentes des créanciers

En matière d’infrastructure, les États-Unis avaient même signé en 2021 des accords d’un milliard de dollars avec des compagnies américaines, incluant un contrat de technologie pour des services publics de sécurité et un projet pour améliorer le trafic avec de meilleures routes. À cela s’ajoutent un don destiné à l’amélioration de la production d’énergie, l’apport de l’USAID. L’adoption d’une loi contre les valeurs importantes aux yeux de l’administration Biden pourrait-elle remettre en question tous ces acquis ? Des apports qu’approuve l’expert en politique qui affirme que « le Sénégal attend, ce mois de juin, un décaissement important du Fonds monétaire international (FMI). L’accord de financement, conclu en 2023 justement, doit connaître ainsi son second décaissement ». Donc, prévient-il sur la criminalisation de l’homosexualité, « le risque serait grand de compromettre cette opération. Et c’est certainement ce qui a dissuadé le chef du gouvernement Ousmane Sonko de s’inscrire dans la radicalisation prônée lorsqu’il était dans l’opposition ». Il est plus risqué aujourd’hui d’afficher publiquement son identité LGBT qu’il y a quelques années. Il y a de plus en plus d’agressions contre des membres de cette communauté, souvent filmées et diffusées sur les réseaux sociaux. Pourtant, fait savoir le politologue, « les structures de financement internationales travaillent sous la supervision et parfois la tutelle de leurs gouvernements qui travaillent publiquement à la promotion des droits des LGBT et qui sont très hostiles à toute politique de répression des homosexuels et des personnes assimilées. Les États comme le Sénégal qui comptent encore sur ces financements sont dans l’obligation de revoir leurs copies et de s’accommoder de cette situation. Ainsi, le risque économique est encore assez dissuasif ». Dans un pays majoritairement musulman, l’homosexualité reste une question taboue et la majorité des Sénégalais, comme la plupart des Africains d’ailleurs, la considèrent comme une « déviance » importée d’Occident.