Fort de sa population majoritairement composée de jeunes, le Sénégal a tous les atouts pour se développer si les moyens nécessaires sont mis là où il faut. L’agriculture apparait dans ce sens comme le secteur le plus en mesure de tirer l’économie du pays et d’assurer, sinon une indépendance totale, au moins une souveraineté réelle sur le plan alimentaire. Dès sa prise de fonction, le président Faye a indiqué la place place prioritaire de l’agriculture dans son « Projet » de placer le Sénégal à un niveau supérieur dans le classement des pays émergents. La nomination du Dr Mabouba Diagne à la tête du département de l’agriculture témoigne de la volonté réelle de développer le secteur avec une vision claire. Ce choix est très applaudi du fait qu’il se porte sur un homme qui a pratiqué l’agriculture et lui consacre depuis quelques années une place de choix dans sa vie professionnelle. En effet, au vu du profil, il s’agit là d’un choix de rupture qui obéit pourtant à un principe basique: mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Cependant, un département aussi grand que celui de l’agriculture dépasse la seule personne du ministre à sa tête. Pour parvenir aux résultats souhaités, il faut nécessairement repenser la pratique agricole et adopter des mesures nouvelles.
Faire l’audit des projets du régime sortant et réajuster
Les 12 années de magistère de Macky Sall présentent un intérêt réel sur le plan agricole. Bien des projets ont été élaborés et mis en œuvre sans que les résultats voulus ne soient atteints. Dès lors, il urge de faire un audit élargi des différentes politiques agricoles et des plan adoptés. Pour le nouveau régime de réussir sa relance du secteur, passer en revue les plans REVA (devenu Anida sous Macky) et surtout le Prodac sonne comme une nécessité. Malgré le passif qui saute aux yeux, et qui se résume en une incapacité d’atteindre l’autosuffisance ou a sécurité alimentaire, le défunt régime a investi de gros moyens pour moderniser l’agriculture et le rendre plus compétitif. Seulement, des pratiques hétérodoxes sont venues ôter ces projets de toute leur quintessence : la mauvaise gestion a été érigée en modus operandi et documentée dans des rapports ou des livres de membre de la société civile.
Audit du foncier et assistance aux paysans à moyens limités
Si l’audit financier entre dans la logique de la reddition des comptes, un autre, celui-là foncier, doit être mené avec beaucoup de rigueur. En effet, beaucoup de promoteurs agricoles, agro businessmen, et même agents du ministère, ont profité de leur position pour s’accaparer de plusieurs hectares de valeureux paysans. L’affaire de Ndingler, Dodel avant lui, et bien d’autres en sont de parfaits exemples. Au nom du domaine national, de nombreux maires ont confisqué des terres de citoyens « ordinaires » au profit d’une classe plus privilégiée. La vérité est que l’on ne peut pas développer le secteur en faisant l’économie du droit et des revendications des paysans qui vivent des fruits du secteur. L’expropriation dont ont été victimes les paysans au profit d’agriculteurs plus nantis, souvent caciques du régime ou multinationales, a freiné l’envol économique dans beaucoup de terroirs qui font de l’agriculture une activité de survie.
Assistance réelle aux paysans
Les projets mis en place par l’Etat ne peuvent pas à eux seuls développer le secteur agricole. Un accent particulier doit être mis sur l’aide à apporter aux paysans, propriétaires terriens, qui travaillent avec les moyens du bord. Cette assistance ne peut pas être que financière; elle doit être surtout logistique. En effet, nombre de paysans du Walo, Baol, Cayor, Fouta, pour ne citer que ces terroirs, ne disposent pas de moyens pour se payer les services d’un tracteur aux fins de défricher leurs champs. Et ceux qui mettent la main à la patte se retrouvent après dans le dur puisqu’ils défalquent ce montant de leur budget de campagne, si tant est qu’ils en ont. Sur ce plan, le gouvernement qui a beaucoup fait en terme de distribution de matériels du genre, doit revoir sa politique et s’assurer que l’aide arrive aux vrais destinataires, comme promis par le président Faye durant son adresse du 3 avril dernier. Il est clair que le développement de l’agriculture doit commencer par les paysans de moindre bourse, mieux il doit passer par eux, ce qui sous-entend une prise en charge réelle de leurs besoins : affectation de terres souvent héritées depuis des années, disponibilité de l’eau qui est souvent difficile à puiser si les champs sont distants de la source (comme la zone de Syer, Keur Momar Sarr), appui financier pour le financement de leurs campagnes agricoles en hivernage et hors-saison, etc. Il faut rappeler que c’est dans cette commune de Syer qu’est implanté Biosoy, un projet agro-industriel qui exploite 1000 Ha de terres agricoles par l’utilisation de techniques avancées de production de graines bio destinées à l’exportation, et de semences d’arachide certifiées pour le marché sénégalais. Lancé en 2017 puis inauguré en 2019 par le défunt PM Boun Dionne, le projet dont le coût global de la phase test était estimé à 5 milliards FCA n’a pas eu l’effet attendu auprès des populations locales. Contrairement à un petit groupe souvent localisé dans les zones du bassin arachidier, les paysans ne reçoivent pas de subventions pour leurs différentes campagnes et sont souvent à la merci des structures comme Pamecas qui leur octroient des prêts avec des conditions assez difficiles. Par ailleurs, la commercialisation des produits agricoles doit être assurée à travers la préparation du marché, la création de magasins de stockage adaptés dans les zones de culture, etc.
Projets communautaires et mise à contribution des sortants des Isep
Le relèvement des conditions sociales et la lutte contre le chômage doivent être au coeur de tout projet agricole. Pour les cinq (5) ans à venir, le régime en place doit particulièrement s’appuyer sur des projets agricoles communautaires afin d’aider à absorber le manque d’emploi. C’est en ce sens que le « Prodac » apparait comme une trouvaille pour booster le secteur et renforcer le recrutement de jeunes auxquels le programme « Xeyu Ndaw NI » n’a pas pu donner les moyens de faire face au diable (la vie chère) au lieu de peiner à lui tirer par la queue. S’il est vrai que le « Prodac » en soi est un excellent projet dans sa vision, il est en effet difficile de voir son impact en termes de rendement malgré les lourds investissements réservés. C’est à corriger! L’Etat du Sénégal doit davantage travailler à décomplexifier l’activité agricole en mettant les acteurs dans des conditions enviables. L’image du paysan ne doit plus être celle d’un homme qui cultive pour vivre de sa culture et qui ne peut pas réaliser grand-chose avec ses petits rendements. Dans cette optique, les Isep (Instituts Supérieurs d’Enseignement Professionnel), implantés depuis quelques années dans les quatre coins du pays, peuvent être d’une grande aide. Y enseigner l’agriculture avec toute sa touche de modernité et recruter les sortants de ces établissements peuvent sans aucun doute aider à atteindre le double objectif de la performance de l’agriculture et de la réduction du chômage. La balle est dans le camp de l’équipe dirigée par Ousmane Sonko, Premier ministre et grand artisan du « Projet ».