Le chef de l’État a décidé du report de l’élection présidentielle prévue le 25 février prochain pour, selon lui, éviter une nouvelle crise dans le pays. Pour sa part, l’Assemblée nationale a acté le report de la présidentielle avant de la fixer au 15 décembre 2024 suite au vote de 105 députés. Des tensions ont ainsi éclaté suite à cette décision inédite. La colère s’est exprimée dans les rues. Un tollé qui fait craindre une période de troubles dans un pays réputé être un îlot de stabilité en Afrique de l’Ouest. Mais autant l’économie va encore être impactée. Le président Macky Sall a invoqué « un conflit ouvert » entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel au sujet de la désignation des candidats à l’élection présidentielle. Ainsi, après avoir communiqué sa décision le samedi dernier, l’Assemblée nationale a adopté dans la nuit de lundi 5 à mardi 6 février 2024 à la quasi-unanimité, par 105 voix pour et une voix contre, après que les députés de l’opposition qui faisaient obstruction au vote ont été évacués manu militari par la gendarmerie. Le mandat de Macky Sall est ainsi prolongé jusqu’au 15 décembre 2024. En attendant cette date, les conséquences du report de l’élection commencent à se manifester sur l’économie.
Les répercussions d’une telle décision sur l’économie
Vice-président de l’Association des consommateurs du Sénégal, Hamath Cissé affirme qu’une « telle décision a des répercussions néfastes sur l’économie dans la mesure où les investisseurs ne vont plus venir investir parce qu’ils se disent que le Sénégal n’est plus sûr avec les troubles qui peuvent déstabiliser le pays. La décision du report a entraîné des questionnements qui vont à l’encontre de la stabilité que l’on a connue. Et s’il n’y a pas de dialogue et que les acteurs politiques sont contre la décision du chef de l’État, les manifestants peuvent continuer d’investir le terrain donc les investisseurs vont être imprudents ». Grossiste en alimentation depuis plus de 20 ans, ce vendeur, tapi dans l’anonymat, a l’air d’une personne qui a veillé depuis des jours, tant ses traits sur le visage sont tirés et ses habits froissés. Interpellé sur l’impact de la décision de Macky Sall sur l’économie, la quarantenaire dépassée a difficilement répondu qu’elle venait de raccrocher avec certains de ses investisseurs. « Ils ont renoncé à venir au Sénégal alors qu’on avait déjà convenu d’une date. Mais voilà, avec le report de l’élection, ils ont trouvé comme justificatif que le pays est en zone trouble », a relaté le commerçant avant d’ajouter sur un ton plein de rage : « Ce projet, je l’ai ficelé avec mes partenaires depuis plusieurs mois. Cela m’a même amené à me déplacer hors du pays. Mais maintenant, avec les caprices des politiques, je vais me résoudre à attendre. Mais jusqu’à quand ? Que l’on ne nous donne pas du travail, je peux le comprendre, mais gâcher tant d’efforts, d’énergie, d’argent et de sacrifices est juste aberrant ». Au marché de Gueule Tapée, l’écoulement des aliments tels que l’oignon et la pomme de terre est d’une lenteur déconcertante. « Les consommateurs sont dans le doute concernant des manifestations, ce qui fait qu’ils ne sont pas enclins à faire les marchés », explique Tidiane Sall, grossiste. Au regard de la configuration du tissu économique sénégalais, les PME occupent au moins 95 % des activités, ce qui démontre une faiblesse et une fragilité de notre système de production national. La reprise difficile de certaines d’entre elles qui n’ont pas coulé avec la Covid était un espoir, malgré les difficultés de performer dans un écosystème où les contraintes énergétiques et l’inflation des matières premières semblaient être des défis insurmontables. C’est dans cette situation chaotique que, déclare Meissa Babou, « le président de la République a pris sur lui la décision anticonstitutionnelle et antidémocratique de différer les élections présidentielles du 25 février. Les manifestations qui sont déclenchées depuis cette annonce ont, comme les précédentes en 2021 et 2023, commencé à freiner toutes les activités économiques ».
Destruction de biens publics
La destruction des structures économiques comme les supermarchés, les stations d’essence, les bâtiments et bureaux de société ciblés par les manifestants, les bus de DDD, le BRT et même le TER confirme la perte d’investissement de plusieurs millions. Or, poursuit l’économiste, « l’arrêt temporaire ou définitif de ces activités entraîne une baisse de chiffre d’affaires de plusieurs milliards. En effet, le blocage du transport du TER, de DDD et des centaines de milliers de Jakarta, la fermeture des banques (SGBS aujourd’hui) qui entraîne un manque à gagner énorme sur les transactions financières, la fermeture des marchés dont Sandaga et beaucoup de commerces et de services comme les écoles vont impacter négativement la production nationale et la croissance économique ». Viennent ensuite les artisans et les marchands ambulants qui sont des couches vulnérables à la débrouille pour assurer la dépense quotidienne s’enfoncent dans une misère sociale au fil des événements. « Les dégâts socio-économiques sont désastreux pour un peuple meurtri par 12 années d’une gouvernance financière et économique calamiteuse », argue M. Babou. À seulement dix heures du démarrage de la campagne présidentielle de février 2024, les partis politiques, grands perdants de cette décision, ont comme reçu un coup de poignard. Des investissements colossaux pour une campagne fastueuse sont engagés pour un marketing digne de leur posture. Entre l’acquisition ou la location de système de sonorisation, les tenues gadgets et casquettes à l’effigie du candidat, les bons de carburant et les subventions déjà distribués aux comités et sections politiques locales, les partis politiques, pour des dépenses somptuaires indispensables à leur rayonnement, ont déjà budgétisé plusieurs milliards de francs qui vont avoir des conséquences dramatiques.
Le coût d’une campagne électorale avortée….
En plus, note l’enseignant-chercheur à l’UCAD, « l’acquisition de plusieurs véhicules haut de gamme pour parcourir le territoire national est certainement le niveau de dépense d’investissement qui sera le plus impactant négativement. En effet pour beaucoup de partis sans cotisation de leurs militants comme le PASTEF de Ousmane Sonko, les ressources financières sont en grande partie empruntées aux institutions financières. De même, le dépôt de la caution constitue un goulot d’étranglement qui va hypothéquer les trésoreries des différents acteurs politiques ». Cependant, énumère également l’économiste, « cette situation factuelle destructrice entraîne aux yeux de nos partenaires une méfiance qui sera fatale sur nos relations économiques. En effet, une perception psychologique négative de notre pays avec des conséquences à moyen et long terme sur son image nous mettra sur la liste rouge de plusieurs organisations qui luttent pour les droits de l’homme et la démocratie ». À la longue liste des secteurs impactés par le report des élections s’ajoute aussi les transferts d’argent de plusieurs milliards FCFA pour sécuriser des avoirs de sociétés étrangères qui sont en cours depuis les événements de juin 2023. En plus, liste Meissa Babou, « des réticences des investisseurs étrangers qui classent notre pays comme un pays à risques politiques élevés et qui pour au moins un an encore se retiennent pour voir l’issue de ces manœuvres qui ont brûlé des pays comme la Côte d’Ivoire ». Cette situation va encore malheureusement augmenter le chômage et la pauvreté qui concernent plus de 50 % de nos concitoyens. Une véritable bombe sociale selon l’économiste qui « est en train d’exploser sous les yeux de nos dirigeants irresponsables et irrespectueux des lois et règlements. Face à de tels risques de destructions massives que rien ne justifie, on peut se demander légitimement l’opportunité d’une telle forfaiture à la fois irréfléchie et suicidaire ». En jurant de défendre la constitution et les lois de la république, cette décision anticonstitutionnelle sonne pour le professeur de l’UCAD comme un « parjure ». Depuis son deuxième quinquennat, rappelle Meissa Babou, « le président Macky Sall applique une politique dépourvue de tout humanisme. Son credo qui semble l’aveugler est de rester au pouvoir à tout prix avec comme méthode la violence pour faire taire toutes les contestations. Or, le président Macky SALL devait comprendre que la politique de la ‘ruse et de l’hypocrisie’ conduit fatalement à la guillotine. La non prise de conscience du niveau très élevé du mécontentement populaire par ses serviteurs qui profitent du système et qui l’encensent pour garder des privilèges indus, l’a définitivement condamné aux yeux de ses compatriotes ». En somme, les conséquences d’une telle décision sont causées selon l’économiste par « le désespoir face à des ministres des finances qui ne savent que fiscaliser et s’endetter au gré des rêves du prince dont le regard est tourné vers des intérêts étrangers au détriment de la préférence nationale, peut être corrigé par la nouvelle caste de jeunes opposants imbus des valeurs républicaines et patriotiques ».