Quatre mois après la prise de pouvoir par le nouveau régime, le débat sur l’économie du Sénégal est relancé chez les spécialistes. Une longue période de traversée du désert, due à des facteurs exogènes et endogènes, a considérablement secoué l’économie. Cependant, à l’échelle du continent, certains saluent toujours la rigueur de l’économie sénégalaise, allant jusqu’à dire que le Sénégal détient un secret divin. Le Président de la République et son Premier ministre, deux fiscalistes au pouvoir, sont attendus sur plusieurs défis, notamment celui de faire rayonner le pays sur le plan économique. Selon les données officielles, grâce à la résilience du secteur agricole, le taux de croissance du PIB réel est passé de 3,8 % en 2022 à 4,3 % en 2023. Malgré le ralentissement des services, avec une croissance passant de 6,7 % en 2022 à 3,9 % en 2023 en raison des mesures restrictives sur Internet et les transports, l’agriculture et l’industrie ont soutenu la croissance du PIB. En réponse aux mesures prises par le gouvernement et à la réduction de la politique monétaire de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest, l’inflation a diminué de 9,7 % en 2022 à 5,9 % en 2023. Cela a entraîné une augmentation du taux minimum d’injection de liquidités de 2 % en 2022 à 3,25 %. Ce dynamisme de l’économie du Sénégal se ressent encore en 2024, avec un déficit budgétaire pour l’année 2024 de seulement un peu plus de 800 milliards de francs CFA. Cependant, les nouvelles autorités ont surpris le monde des économistes avec une dette de 1 150 milliards de francs CFA en trois mois. Pour ceux qui avaient besoin de 800 milliards pour toute l’année, ils ont emprunté plus de 1 000 milliards en un semestre. Pour le député Abdou Mbacké Ndao, les nouvelles autorités sont rattrapées par la crise qui avait secoué le Sénégal en juin 2023. « Vous savez, ces nouvelles autorités paient pour toutes les exactions qu’elles ont commises en 2023 contre le régime de Macky Sall. Durant ces événements douloureux, l’État avait 400 milliards, le secteur privé 1 000 milliards ; il y a eu beaucoup de pertes d’emplois. La masse salariale du Sénégal est d’un peu moins de 300 milliards, ce qui est énorme. C’est pourquoi elles mettent la pression sur certaines entreprises pour la fiscalité », explique le député de l’APR.
Des facteurs exogènes
Cette thèse du député de l’APR semble confirmée par les données rendues publiques par la Banque mondiale. Le taux de pauvreté est passé de 38 % en 2011 à 32,9 % en 2019, grâce à l’augmentation des revenus agricoles, à l’augmentation des investissements publics et au renforcement des services sociaux, selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie. Cependant, d’après la Banque mondiale, les chocs récents ont inversé cette tendance, et le taux de pauvreté devrait passer de 35,9 % en 2021 à 36,3 % en 2022. De 24,1 % en 2021 à 19,5 % en 2023, le taux de chômage prolongé est plus élevé chez les femmes (32 %) que chez les hommes (10 %). Mais ce n’est pas tout ce qui explique ce déficit budgétaire du Sénégal. Il y a aussi d’autres facteurs, comme la tension budgétaire qui asphyxie actuellement le nouveau régime. « Les recettes douanières ont baissé drastiquement. Avec l’ouverture du Port d’Abidjan, le Mali fait transiter ses importations par le pays d’Alassane Dramane Ouattara », explique Barka Ba, journaliste spécialisé en relations internationales. Il ajoute également que l’ancien Président de la République, Macky Sall, avait bien mentionné dans les contrats d’exploitation que « nul ne peut hypothéquer les ressources naturelles du Sénégal ». Selon Barka Ba, si cette disposition ne figurait pas dans les protocoles, les nouvelles ou même les futures autorités pourraient hypothéquer le pétrole ou le gaz sénégalais, ce qui serait un précédent très dangereux. L’économie du Sénégal présente deux visages à l’ère du nouveau régime. Il y a d’abord celui perçu de l’extérieur, avec une image très attrayante grâce au gaz et au pétrole qui font saliver les autres économies d’Afrique et d’ailleurs. Puis, il y a l’autre visage, celui de la réalité vécue au Sénégal : un taux de chômage très élevé et des entreprises nationales en difficulté en raison de plusieurs facteurs.